PRISE DU FORT DE FAUTAHUA À TAHITI
CONTEXTE HISTORIQUE
Principale île de l’archipel de la Société, Tahiti fut découverte en 1767 par Wallis, que suivirent Bougainville et Cook, et dut son immense renommée à la mutinerie du Bounty commandé par le capitaine Bligh (1790). D’abord sous souveraineté britannique, grâce à la famille Pomaré qui se convertit au méthodisme, elle passa sous contrôle français après l’expulsion en 1836 de deux religieux catholiques de Picpus par la reine Pomaré IV, appuyée par le consul britannique Pritchard. La France envoya l’amiral Dupetit-Thouars demander réparation, mais le protectorat ayant été refusé, Pomaré et Pritchard furent évincés par l’amiral qui annexa l’île en 1843. Cette affaire suscita une intense bouffée de nationalisme en Angleterre et en France, où le qualificatif de « pritchardiste » devint une insulte à la mode. Soucieuse cependant de bonnes relations avec l’Angleterre, la France, en la personne de Guizot, le désavoua et la reine fut rétablie en 1847. Un nouveau protectorat fut alors négocié, non sans de vives résistances. C’est ce contexte que Charles Giraud, embarqué pour Tahiti à bord de La Recherche en 1842, traduisit dans ses deux peintures. Durant son séjour, l’artiste avait pris de nombreux croquis d’après nature, et c’est d’après eux qu’il réalisa ces œuvres, après son retour en 1847.
ANALYSE DES IMAGES
Composée de deux volcans éteints réunis par un isthme, l’île de Tahiti présente de profondes gorges dominées par des pitons dont plusieurs servirent de forteresses lors de la conquête menée par les Français. Le fort de Fautahua accueillit ainsi le gros des indigènes rebelles en 1846. Giraud en dessina plusieurs vues topographiques à la demande de l’état-major et en tira les deux tableaux de Versailles. Cette position formidable fut prise d’assaut le 17 septembre 1846 par le capitaine de corvette Bonard. Une colonne dirigée par Tariiri, Tahitien au service de la France, put d’abord atteindre le sommet, pendant que le commandant Masset feignait une attaque avec des chasseurs et le 31e sur un autre point du piton. C’est là que portèrent tous les efforts des rebelles. Mais l’attaque véritable eut lieu du côté de la colonne Tariiri, qui prit les indigènes à revers du côté le moins accessible. Il fallait escalader le pic avec des cordes, mais la surprise fut totale et les insurgés se débandèrent sans combattre. La victoire ne fut cependant totale que lorsque par un immense détour on put rallier l’accès normal à la forteresse. Ce sont donc les deux percées que relatent les tableaux de Giraud. L’artiste insiste particulièrement sur la topographie du terrain, effectivement spectaculaire, et c’est elle qui fait le sujet des œuvres, conditionnant les assauts surhumains de cette bataille. Le premier tableau rend particulièrement bien la vertigineuse verticalité des attaques. Deux masses, celle des soldats en bas, des roches en haut, se trouvent reliées par une simple corde si ténue qu’on croirait qu’elle va céder. Combat aérien où les soldats sont comme suspendus dans l’espace.
INTERPRÉTATION
L’intérêt de ces deux tableaux réside avant tout dans le fait qu’ils conservent la mémoire d’un fait d’armes exceptionnel aujourd’hui oublié et qu’ils témoignent des ambitions coloniales nouvelles de la monarchie de Juillet. L’image guerrière de Tahiti, bien réelle dans sa résistance permanente à la France, est occultée par le mythe océanien, celui du bonheur de ces îles paradisiaques, baptisées Nouvelle Cythère par Bougainville et que chantait Victor Hugo dès 1821 dans « La Fille d’O-Tahiti » (Odes). Il existe une véritable distance entre ce mythe et la réalité historique, mais le premier a la vie si dure qu’il refuse au second un regard objectif. C’est aussi que ces îles perdues dans l’océan, situées aux confins de la terre, ne semblent pas participer de l’évolution de l’ensemble du monde et paraissent demeurer dans un état de primitivisme heureux, où tout serait facile, tant leur beauté naturelle est idyllique.
Sur un autre plan, outre les dessins de John Webber (1750-1793) embarqué aux côtés du capitaine Cook, ces tableaux sont les premiers à nous conserver une mémoire océanienne. Giraud apparaît en ce sens comme un peintre ethnographique, à l’instar de Biard, le peintre des Lapons, qui fut chargé par Louis-Philippe de transcrire les événements de son voyage en Laponie durant la Révolution.
Sur un autre plan, outre les dessins de John Webber (1750-1793) embarqué aux côtés du capitaine Cook, ces tableaux sont les premiers à nous conserver une mémoire océanienne. Giraud apparaît en ce sens comme un peintre ethnographique, à l’instar de Biard, le peintre des Lapons, qui fut chargé par Louis-Philippe de transcrire les événements de son voyage en Laponie durant la Révolution.
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