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mardi 22 novembre 2016

L'esclavage des Amérindiens, l'autre péché originel de l'Amérique


Les Européens ne se sont pas contentés de déplacer les Amérindiens, ils les ont réduits en esclavage, et ont incité des tribus à participer à ce commerce d'êtres humains. Un phénomène d'une ampleur et d'une complexité que les historiens commencent tout juste à appréhender.
Voici trois histoires d'esclavage en Amérique du Nord. En 1637, dans le Connecticut, un groupe de Pequots, hommes et adolescents, se soulèvent contre les colons anglais –l'insurrection est matée dans le sang, les hommes vendus dans des plantations des Caraïbes en échange d'esclaves africains, ce qui permet aux colons de se débarrasser d'éléments perturbateurs en leur sein. (On presse les femmes de la tribu à devenir servantes dans les foyers blancs de la Nouvelle-Angleterre, qui manquent cruellement de domestiques). En 1741, une caravane de Sioux longue de 250 mètres, récemment asservis, et propriété d'un groupe de guerriers CrisAssiniboines et Monsonis, arrive à Montréal –ils seront vendus aux colons français, affamés de serviteurs et d'ouvriers agricoles. En 1837, le Cherokee Joseph Vann, exilé de sa Géorgie natale après l'Indian Removal, se rend en Territoires indiens accompagné d'au moins 48 esclaves noirs. Dans les années 1840, on raconte que Vann possédait des centaines d'esclaves, des chevaux de course, et un bateau à vapeur.
Une vision réductrice du passé américain se focalise d'ordinaire sur deux péchés historiques et multi-centenaires: l'esclavage et la spoliation des Africains d'un côté, et la déportation des autochtones américains de l'autre. Depuis quelques années, une nouvelle vague de spécialistes de l'esclavage en Amérique concentre son analyse sur la manière dont ces deux abominations ont pu se recouper. Les histoires qu'ils ont découvertes éclairent l'esclavage africain –un récit toujours dominant dans la mémoire nationale américaine– d'une lumière nouvelle et révèlent combien les graines de ce système ont été plantées, au départ, pour exploiter le travail des Amérindiens. En outre, des données historiques sur l'esclavage des autochtones montrent comment le désir blanc d'asservir des travailleurs allait intensifier le chaos du contact, en bouleversant les dynamiques politiques intertribales et en créant des foyers d'incertitude et d'instabilité chez des populations qui avaient d'ores et déjà énormément de mal à s'adapter à un équilibre des pouvoirs radicalement nouveau.
Avant d'appréhender l'esclavage des Amérindiens à un niveau local (sans doute le seul point de vue pertinent face à une histoire aussi variée et fragmentée), il convient de se faire une idée de l'ampleur du phénomène. A quelle fréquence les populations autochtones étaient-elles réduites en esclavage par les Euro-Américains ? Difficile de donner des chiffres, car dans la plupart des cas, lors de la période coloniale, l'esclavage des Amérindiens s'est fait de manière illégale, opportuniste, et sans trace matérielle.
Mais certains historiens tentent quand même le coup. Voici quelques estimations: des milliers d'Amérindiens ont été réduits en esclavage en Nouvelle-Angleterre coloniale, selon Margaret Ellen Newell. Alan Gallay écrit qu'entre 1670 et 1715, le nombre d'esclaves amérindiens exportés via Charles Town (aujourd'hui Charleston, en Caroline du Sud) dépasse celui des esclaves africains qui y sont importés. Brett Rushforth a essayé d'établir le bilan total de l'esclavage des populations amérindiennes, et il estime qu'entre 2 et 4 millions d'autochtones ont été réduits en esclavage en Amérique du Nord et du Sud pendant toute la période où la pratique avait cours –soit un chiffre bien plus élevé que ce qu'on pouvait escompter précédemment. «Cela n'atteint pas le niveau de la traite négrière»qui verra 10 millions d'individus déportés sur le continent américain, mais reste que l'histoire primitive des colonies européennes en Amérique est marquée par l'asservissement des autochtones. «Même en poussant jusqu'aux années 1680 ou 1690, le nombre d'Indiens esclavagisés dépasse alors celui des Africains».




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