LE CHARISME DE HITLER
CONTEXTE HISTORIQUE
La conquête du pouvoir par Hitler
Au lendemain de la Première Guerre mondiale, rien ne semblait prédestiner Adolf Hitler (1889-1945) à devenir le maître incontesté de l’Allemagne dès 1933, ni ses origines sociales ni sa trajectoire personnelle : cet illustre inconnu, fils d’un modeste douanier autrichien, s’essaya sans beaucoup de succès à la peinture, avant de s’engager comme soldat durant la Grande Guerre. L’ayant démobilisé pour cause de blessures, l’armée le chargea après la fin des hostilités de surveiller les groupuscules extrémistes de Munich, parmi lesquels se trouvait un noyau d’ouvriers allemands qui se distinguaient par leurs virulents idéaux nationalistes et racistes. Entré en contact avec eux, Hitler adhéra bientôt au parti national-socialiste allemand des travailleurs (NSDAP) fondé en 1920 contre les accords de Versailles, la République bourgeoise de Weimar et le grand capitalisme, dont il devint le chef. Découvrant alors qu’il possédait de réels talents d’orateur et de démagogue, il les exploita à des fins politiques, dans un premier temps pour acquérir une certaine audience populaire dans les brasseries munichoises, dans un second temps pour étendre les assises du parti nazi (2 000 membres fin 1920, 55 000 fin 1923), nouer des liens avec les milieux d’extrême droite et doter le NSDAP d’une organisation paramilitaire propre (S.A.). Toutefois, la tentative avortée de putsch à Munich, les 8 et 9 novembre 1923, entraîna l’emprisonnement de Hitler, période durant laquelle il rédigea Mein Kampf, et l’interdiction du parti nazi. A sa sortie de prison, treize mois plus tard, il parvint néanmoins, grâce à la célébrité acquise durant son procès, à reconstituer son parti et à renforcer sa propre influence politique.
ANALYSE DES IMAGES
Une rhétorique savamment calculée
Pleinement conscient de ses capacités d’orateur, Hitler insiste longuement dans Mein Kampfsur l’importance de la propagande, centrale dans l’idéologie nazie et la culture totalitaire, et en particulier des discours pour galvaniser les foules : ceux-ci devaient être simples et accessibles, ne contenir qu’un nombre réduit d’idées et d’informations. En conséquence, Hitler s’adressait toujours au peuple selon la même logique simpliste et répétitive. Prononcés sur un ton tantôt déclamatoire, tantôt incantatoire, ses discours faisaient appel à une rhétorique gestuelle empruntée aux orateurs antiques, associant le geste à la parole. L’importance qu’il attachait aux effets gestuels et aux expressions du visage apparaît dans la série de clichés réalisée en 1925 par Heinrich Hoffmann (1885-1957), photographe du parti nazi dès ses origines puis iconographe attitré et ami personnel de Hitler. Ces instantanés ont été pris alors que Hitler, debout devant l’objectif, mime un discours imaginaire, adoptant tour à tour une pose combative, impérative, ironique et visionnaire, et que, derrière lui, un gramophone diffuse le discours en question. Ses gesticulations – bras levés, poings serrés, index tendu… – de même que les mimiques exaltées de son visage – moue volontaire, yeux exorbités ou rêveurs, bouche hargneusement ouverte, lèvres esquissant un sourire ironique… – sont autant d’effets destinés à renforcer la teneur de ses propos et à communiquer son état d’esprit aux auditeurs. Tel un comédien, Hitler parvenait de la sorte à dédoubler sa personnalité pour se mettre lui-même en scène dans le but de concentrer l’attention sur sa personne puis de rassembler les masses autour de lui. Face au public, il avait coutume d’adopter une pose méditative avant d’entamer son discours, lequel suivait une sorte de progression : commencé lentement, il s’enflait au fur et à mesure que le ton montait, s’accompagnant alors de gestes virulents, puis se calmait. Si ces photographies présentent ainsi un intérêt documentaire considérable pour apprécier le charisme que dégageait la personne de Hitler, ce dernier n’en jugea pas de même puisqu’il demanda par la suite à Hoffmann de détruire les négatifs de ces photographies, après avoir diffusé certaines d’entre elles. Conscient du pouvoir des médias et en particulier de la photographie, Hitler – l’homme le plus photographié de son temps – contrôlait en effet soigneusement son image officielle, privilégiant les portraits solennels et pompeux au détriment des instantanés et des clichés pris en privé. C’est ainsi qu’il s’entoura de quelques photographes officiels et prit l’habitude de marquer d’un coin les photographies qu’il ne voulait pas voir publier. Cependant, Hoffmann, qui était pourtant tout dévoué à Hitler, ne lui obéit pas cette fois et conserva secrètement les négatifs, qui furent publiés bien plus tard dans la presse.
INTERPRÉTATION
L’adhésion des masses
Cette automise en scène qui caractérisait les discours de Hitler permet de mieux comprendre les raisons de la confiance aveugle et de l’idolâtrie qu’il suscitait parmi ses auditeurs. Son charisme et son ascendant résidaient en effet en grande partie dans la puissance de son élocution et dans l’emploi d’une rhétorique gestuelle. Il sut également très bien exploiter les anciens et les nouveaux médias – citons entre autres la mise en scène élaborée des grands rassemblements en plein air, la photographie dans la presse, la radio, la technique d’amplification du son dans les meetings, ainsi que les actualités cinématographiques. Des discours simplificateurs aux accents prophétiques et une propagande habile lui permirent ainsi de faire passer au peuple son message, lequel se résumait à quelques concepts idéologiques fondamentaux – la communauté nationale, la pureté de la race, la haine de l’ennemi bolchevique et juif –, et de lui communiquer sa vision d’un avenir grandiose et prospère pour l’Allemagne. Fort de cette assise populaire, Hitler parvint à exploiter le mécontentement général suscité par la crise économique de 1929 pour se hisser au pouvoir, tout en prenant appui sur le parti de droite et en obtenant le soutien financier de quelques grands groupes industriels. Nommé à la tête de la chancellerie du Reich par le président Hindenburg le 30 janvier 1933, il se consacra à la mise en place et à la consolidation du nouveau régime, créant un Etat totalitaire dans lequel la propagande jouait un rôle de tout premier plan. Destinée à embrigader les masses, elle était envahie par le culte du Führer, dont elle offrait une image glorieuse. Les grandioses cérémonies nationales-socialistes contribuèrent à accroître son immense popularité : à ces occasions, la monstrance de la personne de Hitler s’accompagnait d’un rituel soigneusement codifié par Goebbels, dans lequel de nombreux artifices tels que les effets de lumière des projecteurs ou une apparition savamment calculée du chef renforçaient son aura. Ainsi conditionnée et galvanisée par l’orateur, la foule était atteinte d’une sorte d’ivresse collective, d’une transe dans laquelle se réalisait la fusion de la communauté mystique avec son Führer. Exceptionnelle, cette « domination charismatique » (Max WEBER, Economie et société. Trad. fr. Paris, 1971, p. 249-261.) constitue ainsi l’une des clés du succès du pouvoir hitlérien.
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