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mardi 22 novembre 2016

Les exécutions des soldats noirs par les nazis en 1940 !

Les exécutions des soldats noirs par les nazis en 1940 


En 1940, de 1.500 à 3.000 soldats africains ont été tués par les nazis. Cet ouvrage collectif revient sur une histoire méconnue.
«Ils ont été massacrés par les Allemands, 43 soldats africains». Cette inscription orne un monument érigé en hommage aux soldats africains exécutés à Clamecy lors de la campagne de mai-juin 1940. Les tueries abordées ici s’inscrivent pleinement dans l’idéologie nazie puisque les soldats de la Wehrmacht ont exécuté les tirailleurs au nom de ce qu’ils étaient.
Ce sont sur ces faits tragiques que sont revenus plusieurs chercheurs au cours d’un colloque organisé par Jean Vigreux en novembre 2011. L’ouvrage repose sur plusieurs de ces interventions et sur quelques contributions inédites. Julien Fargettas et Raffael Scheck, qui ont déjà consacré une large partie de leurs travaux à cette question, expliquent le déroulement du massacre et la place des tirailleurs sénégalais dans l’histoire de l’Armée française. Johann Chapoutot et Claire Andrieu resituent ces événements dans le cadre de l’idéologie nazie, alors que Jean Vigreux revient sur la mémoire de l’exécution de Clamecy pendant la guerre. En 175 pages, les auteurs nous offrent une vision complète de ces événements par un propos précis et nuancé tout en le replaçant dans une échelle temporelle large.

Massacres de mai-juin 1940

Parmi les 1,5 million de soldats de l’armée française capturés se trouvaient 15.000 noirs africains, ainsi que 456 Antillais non reconnus comme français par les Allemands. Selon Raffael Scheck, 1.500 à 3.000 soldats africains ont été assassinés; cette imprécision témoigne des lacunes constantes des sources sur les tirailleurs sénégalais car de nombreuses unités noires n’ont pas laissé d’archives.
Les exécutions eurent lieu lors de la deuxième partie de l’offensive durant le mois de juin en Picardie, au nord de Lyon ou encore en Bourgogne. La plupart de ces actes barbares prirent la même forme: les prisonniers noirs étaient séparés des Blancs avant d’être fusillés à l’écart.
Le procédé pourrait laisser penser à un massacre systématique et organisé. Or, sur ces deux points, Raffael Scheck et Julien Fargettas répondent par la négative. En effet, les tirailleurs sénégalais prisonniers étaient 15.000, la grande majorité n’a donc pas été exécutée. Par ailleurs, aucun ordre émanant d’un officier de haut rang n’a commandité les massacres.
Pour Hitler, les noirs sont des «animaux inoffensifs», dont les Allemands pouvaient tirer profit sur le plan économique
En revanche, les combats dans la Somme et la région de Bar-le-Duc se sont souvent terminés au corps-à-corps, ce qui a pu accentuer une rage extrême. Raffael Scheck relève même certains ordres intimant de ne pas maltraiter les soldats noirs. Si ces actes cruels ne peuvent être comparés aux crimes commis contre les Juifs en Europe de l’Est, ils révèlent cependant une armée marquée par le racisme européen et l’idéologie nazie.

Animosité des Allemands pour les troupes noires

Le mépris et la rancœur des Allemands envers les soldats noirs dépassaient la seule idéologie nazie. Johann Chapoutot recherche l’ensemble des facteurs à l’origine de ces sentiments. En tant que racisme, le nazisme récupéra de nombreux éléments de l’idéologie raciale européenne construite au XIXe siècle.
À cela s’ajoute l’utilisation de troupes noires sur le continent européen au cours de la Grande Guerre et surtout  la stigmatisation de la «honte noire» quand les coloniaux ont participé à l’occupation de la rive droite du Rhin entre 1919 et 1923. Les Allemands l’ont vécue comme un traumatisme. L'occupation s'était en effet accompagnée de quelques viols, mais en réalité ceux commis par les troupes coloniales n’étaient pas plus nombreux que ceux des troupes métropolitaines. Les «bâtards rhénans», enfants nés de ces viols ou de liaisons mixtes, furent victimes d’une intense campagne de propagande dès 1933. Dans l’idéologie nazie, le métis incarnant une violation des droits de la nature, il est donc nécessaire de l’éradiquer et, à ce titre, 600 à 700 métis furent stérilisés en 1937.
Si les idéologues nazis affirment la nécessité d'éliminer le métis, il en va autrement pour les Noirs. Pour Hitler, ce sont des «animaux inoffensifs» dont les Allemands pouvaient tirer profit sur le plan économique, comme pour les Slaves. En revanche, les unions mixtes étaient catégoriquement proscrites. Cette proximité entre l’homme noir et le monde animal fut réaffirmée après les Jeux olympiques de 1936 et les performances de Jesse Owens. Hitler avait ainsi affirmé à Albert Speer qu’il y voyait une concurrence déloyale, car ces hommes «issus de la jungle» étaient favorisés et devaient ainsi être exclus des prochains jeux. L’attitude des nazis envers les hommes noirs s’inscrit ici dans l’idéologie raciste du XIXe siècle encore bien présente au sein des empires.
Pour Johann Chapoutot, les massacres de 1940 sont «l’expression d’un mépris raciste rendu virulent par la fatigue et l’angoisse des combats ainsi que du ressentiment, à la fois outré et haineux provoqué par l’occupation de la Ruhr en 1923».

Commémorations à des fins idéologiques

Jean Vigreux revient sur le traitement immédiat de l’événement dans la commune de Clamecy, où le 11 novembre 1943, 5.000 habitants rendirent hommage aux coloniaux abattus. Quarante-trois soldats y avaient été exécutés le 18 juin 1940 avant d’être enterrés sur demande du maire dans la fosse commune.
L’historien montre de façon convaincante comment les réseaux résistants ont activement préparé la commémoration de l’armistice de la Grande Guerre. Le jour même, la fosse fut symboliquement recouverte des drapeaux français, britannique, américain et de la croix de Lorraine. Cette manifestation, loin d’être isolée, établissait une continuité entre la Troisième République et le Conseil national de la Résistance (CNR), puis magnifiait la grandeur de la France et de son Empire.
Deux témoins et trois suspects ont été trouvés, mais en 2012, l'enquête fut clôturée suite au décès de ces trois derniers!
Ce point aurait d’ailleurs mérité d’être approfondi, et il aurait été judicieux de se demander comment ces tirailleurs ont été récupérés à des fins différentes. Tous les travaux sur ces hommes, quelle que soit la période, révèlent une récupération constante pour légitimer le colonialisme, montrer ses bienfaits ou dénigrer l’ennemi. Certes, cela aurait probablement nécessité une communication entièrement consacrée à ce thème.

Reconstitution historique tardive

Raffael Scheck explique que ces massacres connus dès 1945 n’ont pas fait l’objet d’enquêtes approfondies avant 2006. Avant cette date, toutes les procédures entamées furent rapidement abandonnées. À la fois crimes de guerre et crimes nazis, ils ne souffrent d’aucun délai de prescription. L’enquête de 2006 fut menée par le bureau allemand dédié à la poursuite des crimes nazis. L’historien est ici d’une grande précision puisqu’il a lui-même fourni des documents à ce bureau. Deux témoins et trois suspects ont été trouvés mais, en 2012, l’enquête fut clôturée suite au décès de ces trois derniers. On parle ici de «crimes nazis» car ils étaient motivés par un racisme meurtrier.
Pour Raffael Scheck, ces actes constituèrent une étape dans la barbarisation de l’armée allemande qui atteignit son paroxysme avec l’opération Barbarossa mais –et il rejoint ici l’ensemble des auteurs de l’ouvrage– leur motivation ne fut pas génocidaire.
 
À l’heure de l’histoire sensationnelle et où chacun cherche son massacre, voire son génocide, l’ensemble des participants nous offre un véritable travail d’historien qui repose sur des faits, des sources et leur interprétation. Ils permettent ainsi une meilleure compréhension des tirailleurs sénégalais trop longtemps caricaturés de part et d’autre. Le lecteur y trouvera aussi un texte de Raffael Scheck sur le sort bien différent des victimes de juin 1940 et des prisonniers coloniaux après 1940.
Le manque ou l’absence de sources limite encore notre appréhension du rôle des tirailleurs sénégalais au sein de la Résistance et surtout de la France libre comme l’a montré Jean-François Muracciole. Des travaux comme celui proposé ici font progresser notre connaissance sur des événements précis et inscrivent l’histoire des tirailleurs sénégalais dans une perspective plus scientifique qu’émotionnelle.


Le mystère du transport des pierres de Stonehenge enfin résolu ?

 Le mystère du transport des pierres de  Stonehenge enfin résolu ? 


Des chercheurs pensent avoir découvert la façon dont les pierres ont été transportées par les hommes préhistoriques il y a plus de 4.000 ans.
L’un des plus grands défis techniques de l’âge de pierre livre certainement ses derniers secrets. À l’University College de Londres, on croit savoir comment nos ancêtres, il y a environ 4.000 ans, ont transporté les énormes pierres de Stonehenge, monument ;préhistorique dans le sud de l’Angleterre parmi les plus célèbres au monde.
The Telegraph revient sur les travaux d’une équipe de chercheurs qui a tenté d’identifier la méthode utilisée par les hommes du Néolithique pour maîtriser les colossales pierres «bleues». Ces blocs de 2 tonnes, dont le surnom vient de leur couleur gris bleuté, possèdent la particularité de venir des carrières des monts Preseli au pays de Galles... à plus de 200 kilomètres de Stonehenge.

Rondins de bois

«On pensait avoir besoin d’au moins quinze personnes pour bouger la pierre mais nous avons pu le faire avec dix, ce qui est très intéressant», note Barney Harris, doctorant qui a dirigé une expérience au Square Gordon de Londres. Pour faire avancer le monolithe d’une tonne, les étudiants de l’Université College l’ont solidement attaché à un traîneau de bois en forme de planche. Ficelée de cette façon, la pierre est ensuite couchée sur des rondins de bois puis tirée à l’aide de cordes. L’effet des rondins réduit considérablement l’effort nécessaire pour faire avancer le bloc.
Lors de l’essai, la pierre empruntée à un institut d’archéologie parcourait plus de trois mètres en l’espace de cinq secondes. «Il est vrai que nous avons fait l’expérience sur un terrain plat, et il y avait des pentes raides dans les monts Preseli mais ce genre de système fonctionne bien sur un terrain accidenté», détaille Barney Harris. Comme pour les pyramides à la même période, l’homme a su répondre avec créativité et ingéniosité aux contraintes techniques afin de, très tôt, graver sa présence dans le marbre.




Mon père, ce juif clandestin dans l’armée nazie !

 Mon père, ce juif clandestin dans l’armée nazie  



Comment le passé secret de mon père, qui transparaissait dans ses obsessions, m’a poussé à sonder mon identité juive.
J’ai grandi à Manhattan. Quand j’étais enfant, mon défunt père, un juif né en Roumanie, aimait entonner des chansons allemandes sous la douche. A l’époque, je n’y comprenais rien. Mais après avoir étudié l’allemand à l’université, quelle ne fut pas ma surprise lorsque je découvris qu’au rang de ses préférées, figurait le «Horst Wessel Lied», l’hymne du parti nazi, aujourd’hui encore interdit en Allemagne. En voici les deux premiers couplets:
«Die Fahne hoch! Die Reihen fest geschlossen!
SA marschiert mit ruhig festem Schritt.»

(«Le drapeau haut! Les rangs bien serrés!
La SA [Section d’assaut] marche d’un pas calme et déterminé.»)
Je soupçonne que bien rares sont les juifs pour qui ces paroles à faire froid dans le dos rappellent des souvenirs d’un papa qui chante.
Ma mère également décédée, une Américaine de première génération qui s’est consacrée à son foyer, était elle aussi juive. Son père, un immigré polonais, était même rabbin. Et, voyez-vous, mon père s’est pourtant arrangé pour interdire quasiment tout –par exemple, un exemplaire de la Haggada– ce qui pouvait signaler la moindre proximité avec la religion juive dans notre appartement de l’Upper East Side.
Un jour, la nièce de ma mère a demandé à mon père ce que nous prévoyions de faire pour la fête de Pessa’h. Il est devenu blême et muet. Nous avons fini par fêter Noël parce que mon père y tenait absolument. Chaque année, mes parents, mon frère aîné et moi-même ressortions notre sapin artificiel du fond de la cave et regardions l’allumage rituel de la bûche de Noël (Cacho fio) à la télévision. A propos de l’identité religieuse de ma famille, rien n’était normal.
Arrivé en Amérique au début des années 50, mon père s’est forgé une brillante carrière de cadre à Wall Street. Dans l’un de ses premiers postes, il était préposé au service des opérations boursières de la société F. M. Mayer, aux côtés d’un autre réfugié transylvanien du nom de George Soros.
Quand j’étais petit, il me disait qu’il était catholique. Jeune adolescent, je me rappelle qu’une révélation lui a échappé: ses deux parents avaient été juifs, mais ils s’étaient convertis au christianisme vers l’année de sa naissance, 1925. Et c’est là que j’ai appris qu’il avait dû effacer sa judaïté pour survivre à l’Holocauste.
Dans son pays natal, la Roumanie, il avait fréquenté un lycée jésuite. Lorsque les Allemands marchèrent sur la ville au début des années 40, il fut appelé sous les drapeaux de l’armée nazie. Adolescent, il officia comme traducteur pour Friedrich Paulus, le général allemand défait contre les Russes à Stalingrad.
A mon adolescence, j’étais ému à chaque fois que j’imaginais le passé tragique de mon père, ce juif nazi qui vivait dans le mensonge. Mais qu’il fasse pression pour que moi aussije coupe mes liens avec l’héritage juif de mes grands-parents, paternels et maternels, m’a dérangé.
Paternaliste et, pour ainsi dire, dominateur, il avait du mal à faire la différence entre ses propres besoins et ceux des autres, qu’il s’agisse de religion ou d’autre chose, d’ailleurs. En ce qui concerne notre judaïté, il pensait que son instinct était protecteur. Il considérait que même à la fin du XXe siècle en Amérique, tout rapport avec la religion juive risquait de se solder par une extermination. Et si j’avais le malheur de ne pas être d’accord, j’étais taxé de naïveté; j’étais même un peu fou. A chaque fois que je tardais trop à me faire couper les cheveux et que des boucles commençaient à poindre sur ma tête, il me menaçait de me renier si je n’allais pas immédiatement chez le coiffeur. Il se moquait éperdument du style. Ce qu’il craignait, c’est que j’ai trop l’air juif.
Il est mort à l’été 2014, alors même que j’entamais l’écriture de mon livre First Dads: Parenting and Politics From George Washington to Barack Obama, que je lui ai dédicacé. Il s’est révélé une excellente référence lorsque je me suis mis à étudier l’évolution de la paternité au cours des 250 dernières années.
Le deuxième président des Etats-Unis, John Adams, un homme brillant mais imbu de sa personne, n’a lui aussi pas pu considérer ses enfants comme des individus à part entière, qui avaient le droit de se forger leur propre identité. En 1777, alors qu’Adams travaillait dur au Congrès continental à Philadelphie, il écrivit à son fils cadet: «Il faut que je fasse de toi un médecin.» Le garçon n’avait alors que cinq ans.

Mon père haïssait la religion juive

Lors de mes études universitaires, j’ai nourri le désir de me rapprocher de l’héritage juif de ma famille. En licence, j’ai choisi l’allemand comme matière principale parce que je m’identifiais volontiers aux auteurs juifs allemands qui ont prospéré au XIXe et au début du XXe siècle: j’avais l’impression que Heine, Freud et Kafka me parlaient directement. Je me sentais aussi comme un étranger que l’on a éloigné de la culture Wasp prédominante.
Mais plus j’embrassais un judaïsme laïque, plus cela rendait mon père furieux. Je savais qu’il haïssait la religion juive, mais je ne m’attendais pas à une telle réaction. Après tout, il avait épousé ma mère qui, bien qu’elle eût abandonné toute pratique religieuse après leur mariage, avait tout de même continué de se plonger dans la littérature juive. Elle dévorait chaque nouveau roman d’Isaac Bashevis Singer dès sa parution et, à l’été 1978, quelque mois avant qu’il ne reçoive le prix Nobel, elle m’a même emmené rendre une visite à ce virtuose de la plume dans son appartement de West End Avenue, où j’ai eu l’occasion de jeter un coup d'œil à sa machine à écrire en Yiddish.
Un jour, mon père m’a dit que, l’une des raisons pour lesquelles il avait épousé ma mère, c’est qu’elle avait des allures de Wasp à l’extérieur et qu’elle était juive à l’intérieur. Avec ses yeux bleus et son teint pâle, elle ne «ressemblait pas à une juive». Quelque part en son for intérieur, une parcelle de lui avait une identité juive, mais il redoutait de se mettre en danger s’il la donnait à voir. Cette parcelle juive a souvent été occultée par ses autres parcelles, comme celle du soldat allemand qui restait attaché à la fois aux chansons du Troisième Reich et à tout l’attirail nazi. Quand la jaquette de son exemplaire écorné du Troisième Reich, des origines à la chute de William Shirer a commencé à s’user, il a découpé les croix gammées qui étaient imprimées sur la couverture. «Je ne veux pas qu’elles partent à la poubelle», m’avait-il dit en les rangeant soigneusement dans un tiroir.
Ces aspects contradictoires resurgissaient souvent lorsque revenais de la fac et que je lui parlais de l’identité juive qui naissait en moi. Cela le mettait, pour le moins, mal à l’aise et il me faisait quelques réponses toutes faites. Notamment: «Tu es comme Hitler, qui considérait le judaïsme comme une race!» ou «Le judaïsme est une malédiction!»  La première tenait à sa part juive qui exécrait Hitler, la seconde à sa part antisémite qui continuait de s’identifier à l’agressivité nazie. Et pendant ce temps, je tentais de comprendre, pour moi, ce que cela voulait dire d’être juif. Fallait-il appartenir à une race, à une culture ou à une synagogue? Ou aux trois, peut-être?

Dimension très américaine

Vers l’âge de 25 ans, j’ai fréquenté une synagogue reconstructionniste à Baltimore et je me suis mis à assister régulièrement à l’office du shabbat. Je me suis aussi inscrit à des cours d’hébreu. Ce fut vraiment appréciable de côtoyer la communauté juive de Baltimore, où je me suis fait plusieurs amis intimes. Etudiant en littérature, j’ai été intrigué par les interprétations divergentes de la Torah qui avaient opposé les rabbins des siècles durant.
Compte tenu de ses innombrables admonestations visant à me faire rejeter tout rapport avec la judaïté, je savais que mon père deviendrait fou de rage s’il était au courant de mes activités. J’ai alors commencé à culpabiliser comme si, d’une certaine manière, je l’avais trahi. Conformément à la dynamique psychologique de ma famille, le simple fait d’entrer dans une synagogue constituait un acte radical. J’ai alors ressenti une certaine empathie pour ces jeunes juifs qui s’étaient un jour rebellés contre leurs parents en adhérant au Parti communiste ou, une génération plus tard, au Parti républicain américain. Mais, en l’espèce, je ne cherchais pas à me rebeller. Je cherchais seulement à être moi-même.
Je n’ai pas mis les pieds dans une synagogue depuis des années. Dieu en était la cause: une immuable absence de foi s’était installée en moi. Pour autant, je repense encore avec tendresse au temps que j’ai passé à apprendre les rudiments de la religion juive. Je me sens plus entier et moins coupé du monde de mes aïeux.
Bien que le besoin de mon père de fuir son passé fût obsessionnel et extrême, il revêtait une dimension très américaine. L’Amérique est cette terre d’invention et de création personnelle, qui offre à tout un chacun la possibilité de devenir qui il veut être. Mais je réalise à présent qu’après avoir immigré à New York, mon père n’avait pas vraiment eu le choix: il fallait qu’il se débarrasse entièrement de sa judaïté. Il lui aurait été simplement trop douloureux de se reconnecter, même tardivement, à la terreur qu’il avait dû endurer en tant qu’enfant et adolescent –la divulgation de sa véritable identité aurait pu lui coûter la vie. Je suis heureux d’avoir pu éprouver diverses identités juives jusqu’à trouver celle qui semblait me convenir. Mon père n’a pas eu cette chance.


Voilà comment on allait aux toilettes au temps de l’islam médiéval !

Voilà comment on allait aux toilettes au temps de l’islam médiéval 


Ce que les toilettes et la façon dont on s’en sert nous apprennent sur les sociétés médiévales.
Ce numéro de la revue Médiévales part d’un premier constat: alors que les toilettes, latrines et autres lieux d’aisance sont de mieux en mieux connus dans le monde occidental, c’est beaucoup moins le cas en terre d’islam, où les fouilles se concentrent peu sur cet aspect de la vie matérielle, un aspect certes peu glorieux, mais pourtant crucial.
Le petit coin s’ouvre en effet sur des questionnements plus larges. L’intime, le sacré, le pur et l’impur, ainsi que les choix d’organisation domestique (dans la maison? dans le jardin? dans la rue?), sociale (des toilettes mixtes? ouvertes à tous?) et enfin pratiques (comment évacuer les déchets? comment amener l’eau?): tous ces domaines passent par une pause toilette. C’est pour combler ce manque que s’était tenu en mars 2014 le colloque dont est issu cet ouvrage, colloque que sont venus compléter des articles portant sur le Proche-Orient islamique.
Comme le rappelle Yassir Benhima dans l’article liminaire, la question de la pureté et de l’impureté occupe une place importante en contexte islamique. Si les ablutions qui précèdent la prière sont obligatoires, les autres formes de purification ne relèvent que de la coutume, la sunna. Or celle-ci prescrit l’élimination systématique de tout résidu, soit par istiğmār, c’est-à-dire en employant des pierres ou d’autres objets durs (ce qui est logique dans un espace désertique, où d’ailleurs les termes désignant les espaces de défécation ne renvoient pas à des constructions), soit par istinğā’, par l’eau: une pratique qui dut l’emporter dès le début du VIIIe siècle et qui explique le rôle important joué par les latrines, qui sont souvent construites près ou dans les mosquées.
Néanmoins, c’est l’archéologie qui se taille la part du lion dans l’ouvrage pour comprendre comment étaient organisés les lieux d’aisance. Les toilettes étaient-elles communes –selon le modèle des latrines romaines– ou privées –comme on a longtemps écrit qu’elles l’étaient devenues à la fin de l’Antiquité? À Jerash, dans l’actuelle Jordanie, Louis Blanke souligne l’existence de toilettes publiques attenantes à des bains, mais où l’entrée pouvait également se faire par la rue, sans payer de droit d’entrée, prouvant ainsi que les toilettes publiques n’avaient pas disparues du Proche-Orient pendant l’Antiquité tardive et les premiers siècles de la période islamique. Les auteurs s’attachent à ne pas généraliser, soulignant au contraire les différences régionales: dans les latrines attenantes à la mosquée de Tyr, Marie-Odile Rousset lie ainsi la présence de compartiments individuels aux spécificités du rite chiite.

Installation avant tout urbaine

Les lieux d’aisance semblent fréquemment avoir été séparés des lieux de vie commun, que ce soit dans les maisons urbaines d’Al-Andalus, où les latrines se situaient souvent dans le vestibule, à proximité de la rue, ou bien dans les châteaux forts, où les latrines sont souvent installées dans des renfoncements, des couloirs en angle ou des tours-latrines; mais il faut aussi que ces installations restent facilement accessibles aux soldats, d’où leur nombre assez important. L’installation de lieux d’aisance est également fortement conditionnée par les nécessités de l’évacuation, surtout dans les espaces urbains ou palatiaux à forte densité. Les méthodes utilisées sont nombreuses –égouts, fosses, ramassage...– et posent souvent de grandes difficultés techniques, notamment en ce qui concerne l’approvisionnement en eau ou l’entretien d’un réseau d’égout.
Installation avant tout urbaine, les latrines peuvent enfin suivre les citadins qui s’implantent hors des villes, comme c’est le cas des habitants d’Igiliz, site montagnard du sud du Maroc lié aux débuts des Almohades. Plusieurs types de latrines y ont été découverts, dont deux présentent une structure en plate-forme, typique des latrines urbaines. Car en milieu rural, d’autres modes de gestion des déchets prévalent: dans un contexte de pauvreté des sols, comme à Tozeur dans le sud de la Tunisie, le fumier se vend et les latrines s’aménagent dans les jardins pour pouvoir fertiliser la terre à bon compte.
À la variété des installations possibles répond une variété des aménagements intérieurs des latrines, qui épousent souvent des différences sociales: les latrines royales de Palerme sont plus richement décorées, celles des califes de Cordoue ont, technique rarissime, l’eau courante...
Les latrines des châteaux croisés: une banquette de pierre percée permettait d’y déféquer assis; celles des châteaux musulmans: deux simples blocs parallèles permettaient de privilégier la position accroupie
La disposition intérieure des latrines, lorsqu’elle est bien conservée, permet également d’émettre des hypothèses sur les gestes qui y étaient associés. Ainsi la vasque des latrines royales de Madinat al-Zahra, située à droite des latrines, suppose que les ablutions –dont un hadith recommande qu’elles se fassent de la main gauche– étaient faites de manière perpendiculaire, en effectuant un quart de tour vers la droite. Plus suggestive encore est la différence entre les latrines des châteaux croisés –une banquette de pierre percée permettait d’y déféquer assis, position généralement préférée dans le monde latin– et celles des châteaux musulmans –deux simples blocs parallèles permettaient de privilégier la position accroupie.

Éviter les mauvaises odeurs

Ce panorama des latrines est encadré par deux études connexes: Laurence Moulinier-Brogi revient sur l’usage médical de l’urine. Car l’urologie, autrement dit l’observation de l’urine pour en déduire les maux des patients, est très pratiquée en terre d’islam: les traductions des médecins arabes, notamment Avicenne, apportent ensuite cette pratique dans le monde latin. Plusieurs archéobotanistes soulignent enfin que le contenu des latrines peut en dire long sur l’alimentation ou les maladies des contemporains.
Dans cet ouvrage, la précision des exemples l’emporte souvent sur la vue générale. On peut regretter d’ailleurs l’absence assez fréquente de mise en contexte: les articles s’adressent très clairement à des spécialistes, à l’aise à la fois avec le vocabulaire archéologique et avec les dynasties du monde musulman médiéval. Certaines absences sont un peu plus regrettables, comme la question de l’éventuelle mixité de ces lieux, qui n’est évoquée qu’en quelques lignes dans un article, ou celle de l’accès à ces lieux des minorités religieuses: les latrines étant souvent associées aux mosquées, à quoi recouraient juifs et chrétiens? Dans son récent ouvrage sur les hammams andalous, Caroline Fournier montre tout le profit qu’on peut tirer de ces questions. Certes, les auteurs insistent sur la grande pauvreté des sources écrites: à part les juristes, on ne parle guère des toilettes...
Mais peut-être qu’une approche ethno-archéologique aurait permis d’apporter quelques informations sur les pratiques sociales qui s’articulent autour de ces lieux d’aisance. L’étude des latrines aurait pu être l’occasion enfin de souligner, dans une perspective d’anthropologie historique, que les notions même d’intimité –on trouve parfois des traces de systèmes de fermeture, mais pas toujours–, d’hygiène ou de propreté étaient des constructions historiques qui n’avaient pas toujours été pensées de la même manière. Pour ne prendre qu’un exemple, la plupart des auteurs soulignent que les latrines sont souvent installées dans des endroits reculés, afin d’éviter les mauvaises odeurs: mais, comme le souligne C. Yovitchitch sans davantage creuser cette intuition, même la perception des mauvaises odeurs a dû changer selon les époques... Étudier les latrines permettrait donc, en nouant plus étroitement recherches archéologiques et questionnements historiques, de plonger au cœur d’une histoire des corps, en s’intéressant aux sensations et aux gestes.
Ce numéro propose donc des articles d’une grande richesse, sur un sujet encore trop peu étudié. Le lecteur restera probablement sur sa faim –malgré le sujet peu ragoûtant, ce qui est un exploit en soi... Mais cela ne fait que souligner les très nombreuses possibilités ouvertes par cet objet d’étude.


Création d'un ghetto juif en Pologne, en 1940 !

Ces photos témoignent de la création d'un ghetto juif en Pologne, en 1940



L'historienne Julia Werner a découvert un ensemble de photos qui constitue un rare témoignage visuel de l'évacuation forcée des Juifs vers un ghetto.
L'historienne Julia Werner a découvert au Musée juif de Rendsburg (Allemagne) cet ensemble de photos qui constitue un des seuls témoignages visuels dont nous disposons de la construction d'un ghetto. Prises le 16 juin 1940 par le soldat allemand Wilhelm Hansen, ces 83 images (dont vous pouvez voir une sélection ci-dessous) décrivent le déménagement forcé de la population juive de Kutno (Pologne) de ses maisons vers une usine de sucre abandonnée, où elle s'est vu ordonner de s'installer.
«Aucune autre source ne nous permet de parler de la ghettoïsation avec autant de détails: les carrioles à cheval, les gens en train d'attendre, les masses d'objets, possessions, meubles que, dans ce cas particulier, ils ont été capables d'amener dans le ghetto», écrit Werner dans un long résumé du contexte des photographies, publié sur le site de la Shoah Foundation Institute for Visual History and Education (University of Southern California). Les photos montrent aussi «la situation désespérée, à la fin de la journée, dans les bâtiments de l'usine de sucre, où environ 7.000 personnes ont été en gros abandonnées avec leurs bagages».
Quand Hansen a pris ces photos, il était un soldat de la Wehrmacht; un an après, il a candidaté, avec succès, pour devenir membre du parti nazi. Photographe amateur de longue date, il a apparemment pris les photos pour son usage personnel davantage que pour un usage officiel. «En gros, Hansen a passé toute la journée à documenter ce déménagement forcé», écrit Werner. «De ces photos, nous pouvons déduire qu'il s'est déplacé librement et n'a pas essayé de cacher son appareil.»
Werner écrit qu'il existe un vide majeur dans les archives photographiques des nombreux déplacements forcés de Juifs durant l'occupation allemande: on n'a quasiment pas d'images prises par des Juifs polonais. «L'accès aux appareils photo était très inégalitaire», écrit Warner. «Les Juifs n'étaient pas autorisés à posséder un appareil, et chez les Polonais non-Juifs, son usage était strictement limité à la sphère privée. Les occupants allemands, non seulement ont exproprié de leur entreprise les Polonais propriétaires de leur laboratoire photo et ont interdit les photographes professionels de travailler, mais ils ont aussi confisqué les appareils photo.»
Le Shoah Foundation Institute a enregistré des témoignages oraux de survivants qui ont vécu dans le ghetto de Kutno, qui peuvent nous aider à comprendre comment les Juifs ont pu voir ce camp à ciel ouvert. Dans un de ces entretiens, Barbara Stimler se souvient de l'esprit de coopération qui existait parmi les habitants du camp, qu'elle qualifie de «pire endroit où elle a jamais vécu»«Nous sommes arrivés sans rien, mais il y avait un comité de répartition, et ils nous ont donné un lit.» Dans un autre entretien, Gordon Klasky, un barbier qui fini par réinstaller son commerce dans l'enceinte de l'usine de sucre, décrit les conditions de vie: «Nous avions collé les lits les uns aux autres... Il n'y avait pas de place où marcher, juste où s'allonger sur les lits... Beaucoup de gens avaient installé leur petit chez-soi, vous savez, comme le font les Indiens... comme des tentes, mais construites en bois, avec des couvertures sur le dessus... Quand il pleuvait, nous étions en train de nager.»
Quand on lui demande comment la Gestapo contrôlait les faits et gestes des gens vivant à l'intérieur du camp, Klasky répond: «J'ai vu un frère juif être abattu, de mes propres yeux. Il s'est approché trop près des barbelés, et le garde l'a tout simplement abattu. Je ne l'oublierai jamais.»





Jüdisches Museum Rendsburg in der Stiftung Schleswig-Holsteinische Landesmuseen Schloss Gottorf



L'esclavage des Amérindiens, l'autre péché originel de l'Amérique


Les Européens ne se sont pas contentés de déplacer les Amérindiens, ils les ont réduits en esclavage, et ont incité des tribus à participer à ce commerce d'êtres humains. Un phénomène d'une ampleur et d'une complexité que les historiens commencent tout juste à appréhender.
Voici trois histoires d'esclavage en Amérique du Nord. En 1637, dans le Connecticut, un groupe de Pequots, hommes et adolescents, se soulèvent contre les colons anglais –l'insurrection est matée dans le sang, les hommes vendus dans des plantations des Caraïbes en échange d'esclaves africains, ce qui permet aux colons de se débarrasser d'éléments perturbateurs en leur sein. (On presse les femmes de la tribu à devenir servantes dans les foyers blancs de la Nouvelle-Angleterre, qui manquent cruellement de domestiques). En 1741, une caravane de Sioux longue de 250 mètres, récemment asservis, et propriété d'un groupe de guerriers CrisAssiniboines et Monsonis, arrive à Montréal –ils seront vendus aux colons français, affamés de serviteurs et d'ouvriers agricoles. En 1837, le Cherokee Joseph Vann, exilé de sa Géorgie natale après l'Indian Removal, se rend en Territoires indiens accompagné d'au moins 48 esclaves noirs. Dans les années 1840, on raconte que Vann possédait des centaines d'esclaves, des chevaux de course, et un bateau à vapeur.
Une vision réductrice du passé américain se focalise d'ordinaire sur deux péchés historiques et multi-centenaires: l'esclavage et la spoliation des Africains d'un côté, et la déportation des autochtones américains de l'autre. Depuis quelques années, une nouvelle vague de spécialistes de l'esclavage en Amérique concentre son analyse sur la manière dont ces deux abominations ont pu se recouper. Les histoires qu'ils ont découvertes éclairent l'esclavage africain –un récit toujours dominant dans la mémoire nationale américaine– d'une lumière nouvelle et révèlent combien les graines de ce système ont été plantées, au départ, pour exploiter le travail des Amérindiens. En outre, des données historiques sur l'esclavage des autochtones montrent comment le désir blanc d'asservir des travailleurs allait intensifier le chaos du contact, en bouleversant les dynamiques politiques intertribales et en créant des foyers d'incertitude et d'instabilité chez des populations qui avaient d'ores et déjà énormément de mal à s'adapter à un équilibre des pouvoirs radicalement nouveau.
Avant d'appréhender l'esclavage des Amérindiens à un niveau local (sans doute le seul point de vue pertinent face à une histoire aussi variée et fragmentée), il convient de se faire une idée de l'ampleur du phénomène. A quelle fréquence les populations autochtones étaient-elles réduites en esclavage par les Euro-Américains ? Difficile de donner des chiffres, car dans la plupart des cas, lors de la période coloniale, l'esclavage des Amérindiens s'est fait de manière illégale, opportuniste, et sans trace matérielle.
Mais certains historiens tentent quand même le coup. Voici quelques estimations: des milliers d'Amérindiens ont été réduits en esclavage en Nouvelle-Angleterre coloniale, selon Margaret Ellen Newell. Alan Gallay écrit qu'entre 1670 et 1715, le nombre d'esclaves amérindiens exportés via Charles Town (aujourd'hui Charleston, en Caroline du Sud) dépasse celui des esclaves africains qui y sont importés. Brett Rushforth a essayé d'établir le bilan total de l'esclavage des populations amérindiennes, et il estime qu'entre 2 et 4 millions d'autochtones ont été réduits en esclavage en Amérique du Nord et du Sud pendant toute la période où la pratique avait cours –soit un chiffre bien plus élevé que ce qu'on pouvait escompter précédemment. «Cela n'atteint pas le niveau de la traite négrière»qui verra 10 millions d'individus déportés sur le continent américain, mais reste que l'histoire primitive des colonies européennes en Amérique est marquée par l'asservissement des autochtones. «Même en poussant jusqu'aux années 1680 ou 1690, le nombre d'Indiens esclavagisés dépasse alors celui des Africains».