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lundi 14 novembre 2016

LES TIRAILLEURS SÉNÉGALAIS DANS LA GRANDE GUERRE !

LES TIRAILLEURS SÉNÉGALAIS DANS LA 


GRANDE GUERRE




CONTEXTE HISTORIQUE
Les troupes coloniales au secours de la métropole 

La France a pris pied au Sénégal sous l’impulsion de Colbert, sous le règne de Louis XIV. À partir du comptoir initial, Faidherbe entreprend entre 1854 et 1865 de conquérir l’intérieur du continent et crée le port de Dakar, qui devient capitale de l’Afrique-Occidentale française en 1902. Traditionnellement, l’armée coloniale opère un recrutement local de supplétifs qui maintiennent l’ordre parmi la population indigène, offrant ainsi une étroite voie d’intégration et d’identification patriotique. À la suite de la défaite de 1870 face à la Prusse, et devant l’inquiétante dénatalité française, le colonel Mangin avait théorisé dès 1910 l’emploi décisif de la « force noire ». À cela s’ajoute en 1914 la nécessité de remplacer les masses de soldats tués dans les premiers mois du conflit. La France a ainsi engagé sur le front environ 134 000 combattants d’Afrique noire – des tirailleurs sénégalais, corps créé en 1857 pour engager les Africains subsahariens dans l’armée d’Afrique. Ces unités sont reconnaissables entre autres à la chéchia rouge, empruntée aux tirailleurs algériens.
ANALYSE DES IMAGES
Du festin à la popote 

En 1914, Paul Dufresne, illustrateur prolifique de temps de guerre, dessine une série de cartes postales en couleurs mettant en images des dictons populaires dans un contexte décalé, celui du front. Au centre de la composition, un Sénégalais portant l’uniforme d’apparat bleu, or et rouge. Sa pose rappelle la publicité pour le chocolat en poudre Banania dont cette carte est la contemporaine : la cuillère en l’air, la main qui se frotte la panse et les dents blanches de contentement. Le bivouac improvisé au milieu des combats mêle le festin (champagne) et le rata (gamelle). Il est né de la guerre, avec ses ruines, son mort (allemand), ses explosions aux couleurs de l’artifice, ses flammes et ses fumées, la poursuite du Prussien casqué à coups de baïonnettes qui le repoussent loin à droite (à l’est). 

Fernand Cuville (1887-1927), musicien de formation, engagé à la Section photographique (créée en 1915), couvre pendant deux ans l’ensemble des fronts en France, puis dans les Balkans en 1918. À travers une scène de groupe, il offre un aspect méconnu du conflit : l’utilisation fréquente de main-d’œuvre issue des colonies à l’arrière-front. Les trois Sénégalais posent devant le mess réservé aux officiers, comme l’indique l’inscription sur le mur décati. Ils portent le calot, les jambières et l’uniforme, dissimulé par les tabliers propres à leur fonction réelle. À gauche, le plus jeune écope des tâches salissantes : son tablier est trempé par l’eau puisée avec les seaux de toile goudronnée. L’air assuré du personnage central laisse supposer qu’il s’agit du chef cuistot. À droite, le soldat sans tablier a légèrement bougé pendant la pose ; il est probablement chargé de transporter le bois dans la brouette rustique à côté de lui. Les murs effondrés et l’absence de vitrage soulignent l’inconfort généralisé du campement provisoire.
INTERPRÉTATION
Actions imaginaires et emploi réel 

Les deux images diffèrent par leur nature mais se rejoignent dans l’objectif de populariser la guerre en cours et d’en donner une représentation conforme aux nécessités de la propagande. Elles révèlent toutefois tout autre chose que ce qu’elles veulent bien montrer. Ainsi, la carte postale de Dufresne pratique un double jeu périlleux entre cliché rassurant du « bon nègre » et imaginaire frissonnant des nettoyeurs de tranchées. Si le personnage central sourit, ses dents forment un rictus inquiétant et ses lèvres sont d’un rouge très sanguin. L’exagération des proportions, typique de ce genre de dessin, rend quasi monstrueuses mains et tête. Surtout, la mort et la violence de guerre sont à la fois cachées et suggérées. Au second plan, on devine un cadavre plus qu’on ne le voit, sans doute un soldat écrasé par des poutres plutôt que tué au combat. Mais au tout dernier plan, une scène de meurtre à la baïonnette est bien visible, assez confuse toutefois pour que la censure ne sévisse pas. L’intention première est de vendre des cartes postales grâce aux attraits combinés de l’exotisme, de la sagesse populaire, de l’humour militaire et du sensationnalisme. Plus largement, on fait l’apologie de l’usage déchaîné de la « force noire » dans les zones d’ombre du conflit. 


Travaillant également en couleurs mais avec une approche censément documentaire, Cuville utilise pour ses clichés le procédé autochrome breveté par les frères Lumière en 1903 et commercialisé en 1907. Cette technique aux résultats convaincants nécessite une forte lumière (c’est l’été) et un certain temps de pose, ce qui explique l’abondance de vues de bâtiments (en ruines), de paysages (avec des barbelés) et des portraits. Cuville a immortalisé à plusieurs reprises des travailleurs sénégalais et algériens, seuls ou en groupe, dans la Somme et dans l’Aisne. Ces images devaient présenter une guerre acceptable parce qu’humaine, sereine dans le quotidien du combat. Cette mise en scène, maladroite étant donné la masse d’informations sur les violences de guerre, dédouanait les Sénégalais de leur réputation de sauvagerie. Au-delà, ce cliché met en évidence le fossé entre soldats du rang et officiers, entre Blancs de métropole et Noirs des colonies.



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